Le temps des explications

Il pleuvait à torrents ce jour là. L'automne laissait lentement place à l'hiver, la pluie se changerait bientôt en neige, le froid toujours plus mordant se faisant vivement une place dans l'environnement de l'école.

Angelina marchait vers le bureau de la directrice, et croisait nécessairement beaucoup d'élèves puisque le carillon sonnant l'heure de la pause matinale venait de retentir. Tous la regardait avec un air étrange, à la fois fasciné et apeuré, et avec d'autant plus d'attention que c'était la première fois qu'elle se déplaçait à visage découvert en pleine journée, simplement (... entendons par là sans manteau pour l'abriter du soleil) vêtue d'une robe de moire bordeaux et fine dentelle noire de style victorien.

Ces regards insistants, qui au départ l'avaient plutôt rendue anxieuse puis agacée, ne lui faisaient plus le même effet, maintenant qu'elle se sentait plus à l'aise au château, et qu'elle était plus sûre d'elle, libérée de l'obligation de se dissimuler complètement.
Du moins, c'est ce qu'elle attendait de son entrevue avec Madame Maxime: qu'elle lui confie un poste quelconque (enfin pas n'importe lequel non plus) de façon a avoir une totale liberté de mouvement ici et en dehors.

Arrivée devant le bureau de la directrice, elle leva la main pour toquer à la porte, puis se ravisa, lissa les pans de sa robe et réarrangea un peu ses cheveux noués en chignon d'un petit coup de baguette, avant de frapper.
Elle était consciente que ces précautions pouvaient paraître parfaitement ridicules, mais elle avait un rôle à jouer.
Elle attendit la réponse de la directrice.

Madame Maxime, qui était plongée dans des registres de l'école, releva la tête et enleva les lunettes de repos qu'elle portait. Ses yeux étaient fatigués, cernés. Elle répondit d'une voix faible et éteinte :
- Oui, entrez.

Angelina ne se fit pas prier. Le va-et-vient de certains élèves (toujours les mêmes) était peu discret et elle avait de plus en plus de mal à se retenir de leur en faire la réflexion.
Elle entra donc, referma la porte derrière elle, et s'inclina devant la directrice. La ressemblance était frappante... Mais peut-être la directrice ne la remarquerait pas et vu la fatigue qu'on lisait sur son visage elle ne penserait pas, avec un peu de chance, à une certaine élève de Lovarne qu'il était préférable de laisser en dehors de tout ça pour le moment.

- Madame.

Elle se redressa, s'approcha du bureau sans s'asseoir de son propre chef.

- Veuillez pardonner mon outrecuidance, vous semblez terriblement occuppée par vos fonctions et je profite un peu légèrement de votre temps précieux, mais je pensais qu'il était temps que je vous explique les raisons de ma présence ici. Abriter une pensionnaire anonyme n'est certainement pas source de confiance et de séreinité pour vous. J'en suis désolée.

Madame Maxime regarda un instant Lady Lovelace, les yeux plissés. Elle se souvenait avoir vu cette dame, son visage lui disait quelque chose. Puis elle se rapella, d'un coup. L'affaire du dragon dans le Parc... C'était elle, l'inconnue...
- Asseyez-vous donc, ne restez pas debout, dit-elle précipitamment.

Elle se redressa sur son fauteuil, les mains crispées sur les accoudoirs. Avoir oublié ce détail, certes minime mais qui aurait pu avoir beaucoup plus d'ampleur si Lady Lovelace avait été un mangemort aurait pu être fatal pour l'école et pour ses élèves... Elle reprit sa respiration, pour se calmer. Apparemment, Lady Lovelace n'avait pas l'air agressive.
- A vrai dire, je vous avais oubliée... Toute cette précipitation, toute cette agitation lors de l'épisode du dragon... Je vous avais aperçue, mais ma préoccupation première à été de protéger les élèves dans l'immédiat, si bien que je vous avais oubliée, et j'en suis désolée...

Elle se radouci un peu, l'air un peu plus apaisée.
- Je vous écoute...

Angelina sourit intérieurement. Elle trouvais à la fois très amusant et très profitable qu'une suite d'éléments perturbateurs puissent chambouler à ce point la directrice.
Rien de tout cela n'apparut sur son visage, elle resta de marbre et s'assit, comme l'avait invité à le faire la directrice.

- Ne vous inquiétez pas. Je comprends très bien que vos préoccupations aient été autres. A vous seule vous ne pouvez peut-être pas tout contrôler, surtout depuis ce qui s'est passé. Je suis consciente que chacun ici doit donner le meilleur de lui-même pour que vous soyez soulagée de vos tracas, c'est ce que je souhaite faire moi-même.

Elle se tenait parfaitement droite et son regard vert émeraude montrait clairement sa détermination. Quelque part, elle était impressionante.

- Mais permettez-moi de me présenter, tout d'abord. Je suis Angelina Lovelace, l'épouse de Lord Asriel Lovelace, que vous avez engagé dernièrement pour remplir le poste de professeur de charisme. Il m'a transmis le message de son affectation juste après qu'elle ait été officielle, et j'ai fais le voyage de Paris pour m'installer au village voisin. Lors de l'attaque du dragon j'avais justement prévu de venir me présenter à vous mais les évennements en ont décidé autrement, et comme le poste à l'infirmerie semblait vacant j'ai pris cette place provisoirement, c'est pour cela que vous m'avez trouvée là-bas ce jour-là.

La phase de justification remplie, il fallait désormais motiver la directrice pour qu'Angelina soit admise officiellement dans l'enceinte de l'école.

- J'ai ensuite appris qu'il y avait bien un infirmier mais qu'il avait aussi la fonction de préfet et des problèmes personnels à régler. Je crois savoir également qu'il a annoncé son départ de l'établissement il y a peu. Ces raisons me laissent penser que mon affectation à l'infirmerie pourrait être d'une utilité non négligeable, étant donné mon expérience des plantes, des potions et des diverses pathologies, magiques ou non, qui existent - j'ai enseigné l'art des potions au niveau du second cycle auparavant, et sans vouloir me mettre en avant je ne pense pas avoir manqué à mon devoir. De plus comme je vous l'ai dit je souhaite vraiment apporter ma pierre à l'édifice, ce serait un honneur pour moi de vous aider.

Elle marqua une pause, histoire de ne pas laisser la directrice perdre le fil malgré la fatigue qui semblait l'accabler. Il fallait impérativement qu'elle accepte de la nommer au poste d'infirmière au plus vite.

- Je dois vous avouer que cet emploi est une urgence pour moi. J'ai quelques difficultés à assurer ma situation financière propre... En réalité si je partage tout particulièrement votre embarras et votre inquiétude au sujet des derniers évennements et de ceux qui se profilent, c'est parce que j'ai une fille, qui est scolarisée ici même, dans votre établissement. La protéger est, comme vous le comprenez sans doute, ma priorité, mais l'homme dont je partage la vie n'est pas son père - qui malheureusement est décédé -, et pour des raisons administratives tous les frais de pension et scolarité établis par le ministère sont à ma charge. Je sors d'une période difficile et je vais très bientôt me retrouver face à des difficultés si je ne trouve pas de source régulière de revenus... J'espère ne pas vous donner une piteuse image de ma personne, et croyez bien que mes motivations ne sont pas uniquement mercenaires... Mais...

Elle avait l'air terriblement accablée par tout cela. "Aux abois", pourait-on dire. La proximité entre les deux femmes s'en ressentait bien entendu. Ni l'une ni l'autre n'avait les épaules assez fortes pour supporter le poids de telles responsabilités: Madame Maxime devait gérer au mieux la crise qui frappait son école, Angelina devait faire face à des dettes qui s'accumulaient...
Mais avant tout elle était une comédienne exceptionnelle.

Madame Maxime avait écouté Lady Lovelace d'un œil vide. Elle semblait effectivement avoir du mal à tout suivre. Mais même si son regard était un peu éteint, elle avait néanmoins compris la motivation de cette rencontre. La directrice marqua un temps de pause, les sourcils légèrement froncés en signe de réflexion. Aprés tout, elle ne connaissait pas Lady Lovelace. Elle prit sa décision.
- Je veux bien vous engager en période d'essai. Je vous accorderais ce poste après, mais vu votre CV, je pense que vous n'avez pas trop de soucis à vous faire. Enfin, quand même, comprenez bien que je ne vous connais pas, je dois donc vous imposer cette période d'essai...

A vrai dire, madame Maxime trouvait bizarre que Lady Lovelace soit arrivée pile au moment où le dragon a attaqué l'école. Elle préférait donc se méfier, par mesure de précaution.

Elle sortit des papiers de son bureau, annota quelque chose sur certains d'entre eux, puis les tendit à Lady Lovelace, en demandant :
- Qui est donc votre fille scolarisée ici ?

Angelina prit les papiers en remerciant Madame Maxime. Elle eut un sourire à l'évocation de sa fille.

- Elle s'appelle Mina-Ligeia Byron. Elle a été admise à la maison de Lovarne.

Elle remplit les feuillets patiemment. Une fois ceci terminé, elle les remit à la directrice.

- Quel drame tout de même que cette attaque... Chaque fois que je pense à ma fille je ne peux m'empêcher de revoir la panique des élèves, le danger qu'ils couraient...

Puis elle murmura comme pour elle même, mais juste assez suffisamment pour que Madame Maxime l'entende:

- Le ciel soit béni qu'Asriel m'ait invitée au château la veille...

Elle attendit, pensive, que la directrice poursuive ou la congédie.